La famille : conférence de Mgr Aillet

Je vais vous parler de la famille, qui est un grand sujet et c’est sûr que par rapport à la famille, nous sommes un peu à la croisée des chemins tant il est vrai que l’Église n’a jamais été aussi claire et pédagogue sur son enseignement par rapport au mariage et à la famille. Cet enseignement n’a jamais été aussi urgent à diffuser, non seulement dans le monde mais au sein de nos communautés chrétiennes. Le mariage et la famille n’ont jamais été aussi menacés d’éclatement, comme on le voit dans notre société où les repères se sont particulièrement brouillés. J’ai été particulièrement touché lors de la célébration de la canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II dimanche dernier, par le pape François, qui comme à son habitude est toujours très sobre dans son discours. Il a inventorié quelques qualités que l’on peut attribuer en même temps à saint Jean XXIII et saint Jean-Paul II, puisqu’il avait décidé de les canoniser ensemble. Il a dit ensuite d’une manière très brève : « Je retiens saint Jean XXIII comme le pape de la docilité à l’Esprit-Saint ». Ce pape, dit de transition, a eu l’audace de convoquer le Concile Vatican II en 1962, que Paul VI a conclu le 8 décembre 1965 et que surtout le pape Jean-Paul II a mis en oeuvre et en application, en nous gardant de certaines interprétations un peu erronées qui avaient pu avoir cours dans l’Église dans les années immédiatement post-conciliaires.

On sait combien le pape Jean-Paul II aura été aidé dans la mise en oeuvre, la réception et la juste interprétation du Concile par son fidèle ami et collaborateur le cardinal Joseph Ratzinger qui sera d’ailleurs, le pape Benoît XVI. Sans doute, il faudra que nous soyons nous aussi dociles à l’Esprit-Saint, âme de l’Église, et qui continue de parler par l’Église pour recevoir de manière juste le Concile Vatican II. Le pape Jean-Paul II précisait que Vatican II restait une boussole fiable pour guider l’Église entrant dans le nouveau millénaire. En poursuivant son homélie, le pape François qualifie Jean-Paul II de « pape de la famille ». Vous savez, on pourrait dire beaucoup de choses de Jean-Paul II : que n’a-t-il pas fait ? Qu’est-ce qu’il n’a pas promu en 27 ans de pontificat, ce véritable géant ? Il a eu une influence décisive sur la vie de l’Église à laquelle il a redonné sa visibilité, son élan missionnaire. Il a aussi redonné aux fidèles que nous sommes, aux jeunes en particulier, aux clercs, aux consacrés, aux fidèles laïcs, la fierté de leur identité de catholiques et d’appartenance à l’Église. On aurait pu dire de Jean- Paul II qu’il fût le pape des jeunes avec cette intuition géniale des journées mondiales de la jeunesse qui continuent encore aujourd’hui. On aurait pu appeler Jean-Paul II le pape de la vie avec cette magnifique encyclique si prophétique Evangelium Vitae (l’Évangile de la vie) sur la dignité et l’inviolabilité de toute vie humaine depuis sa conception jusqu’à la mort naturelle. On aurait pu appeler le pape Jean-Paul II le pape de la miséricorde qui a dit lui-même que la miséricorde était le fil conducteur de tout son pontificat. On se rappelle de cette deuxième grande encyclique qu’il a écrite, Dives in Misericordia (Dieu riche en miséricorde) sur le père plein de miséricorde, et puis aussi la canonisation de Soeur Faustine KOWALSKA et l’institution, comme le sacré-Coeur de Jésus l’a demandé à sainte Faustine sa compatriote, du dimanche de la Divine Miséricorde. C’est d’ailleurs, après les premières vêpres de ce dimanche qu’il a rendu son âme à Dieu, le 2 avril 2005, et c’est au jour de ce dimanche de la Divine Miséricorde de cette année qu’il a été canonisé. Mais le pape François a préféré le vocable de pape de la famille.

Je crois que c’est très important pour nous, d’autant plus que vous savez que le pape François a convoqué pour le mois d’octobre 2014, un synode extraordinaire sur les défis pastoraux de la famille dans le contexte d’aujourd’hui, pour préparer un synode ordinaire des évêques qui aura lieu en octobre 2015 et prendre ainsi les précautions pastorales pour la famille dans le monde d’aujourd’hui. Sans doute déjà beaucoup de langues se sont déliées, beaucoup de fausses espérances se sont faites entendre par rapport aux questions brûlantes d’aujourd’hui. Je pense en particulier à l’accès à la communion eucharistique des divorcés remariés qui semble être un point focalisateur de toutes les énergies, alors que le pape François nous a dit que l’essentiel de ce synode serait de présenter au monde le trésor du mariage et de la famille tel qu’il a été révélé par Dieu dans l’histoire du salut et tel qu’il a été transmis par l’Église, non seulement à travers des idées mais à travers une expérience tout au long de son histoire bi-millénaire. En canonisant Jean-Paul II et en l’appelant le pape de la famille, le pape François nous dit que les orientations pastorales seront prises pour mieux accueillir les familles en difficulté, les couples brisés, les enfants qui sont les premières victimes de ces divisions au sein de la famille. Il nous dit qu’il faudra reprendre cette grande lumière, en particulier que le pape Jean-Paul II nous a apportée à travers son enseignement sur le mariage et la famille, enseignement qui a été comme l’obsession de son pontificat.

Jean-Paul II a avoué un jour qu’il aurait bien aimé laisser derrière lui le souvenir du pape de la famille. Vous savez qu’il y a un point de fracture dans l’Église au sujet du mariage et de la famille qui correspond à la publication par le pape Paul VI en 1968, dans la douleur, de l’encyclique Humanae Vitae sur la régulation naturelle des naissances. Le pape Jean XXIII, au cours du Concile, avait réuni une commission d’experts, théologiens, pasteurs, fidèles laïcs, médecins, gynécologues, pour réfléchir sur le possible assouplissement de la discipline de l’Église en matière de régulation des naissances, surtout devant les nouvelles données de notre époque en particulier dans le domaine de la technique et la technique de la contraception en particulier. Le pape Paul VI élargira cette commission dont fera partie le cardinal Karol WOJTYLA, archevêque de Cracovie, bien connu pour être un théologien moraliste qui avait enseigné la théologie morale et la philosophie morale à l’université polonaise de Lublin. Quand la commission a rendu ses conclusions au pape Paul VI, elle demandait un tel assouplissement de la discipline de l’Église, qu’il semblât au pape Paul VI que c’était renier la doctrine pérenne de l’Église sur le mariage, sur la transmission de la vie et sur la famille. Il a mis une année avant de publier son encyclique dans laquelle il prendra une position opposée à la majorité de la commission qu’il avait lui-même élargie pour le conseiller sur cette question. Le cardinal WOJTYLA, empêché de participer à la dernière réunion de cette commission, n’avait pas reçu son visa pour sortir de Pologne. Il envoya au pape Paul VI un rapport appelé le rapport de Cracovie dans lequel il exhortait le pape à ne pas fléchir sur la doctrine de l’Église. C’est ainsi que Paul VI eut le courage d’écrire cette encyclique qui fût si mal reçue que le pape en fut profondément blessé et qu’il décida, à partir de ce moment-là, de ne plus jamais écrire de lettre encyclique. Nous sommes en 1968 et le pape Paul VI est mort le 6 août 1978. Pendant dix ans, le pape Paul VI n’a plus écrit d’encyclique parce que l’on sait qu’Humanae Vitae n’a pas été reçu dans l’Église par nombre de théologiens, nombre de pasteurs qui ont outrepassé les conclusions de Paul VI et qui ont provoqué cette confusion que nous connaissons parfois encore aujourd’hui au sein de l’Église, en matière de morale conjugale et familiale. Le pape Paul VI a écrit d’autres lettres apostoliques et exhortations apostoliques post-synodales comme Evangelium Nuntiandi en 1975 ou la très belle exhortation apostolique sur la dévotion mariale Marialis Cultus, mais jamais de lettre encyclique qui est l’acte d’enseignement le plus solennel d’un pape après les constitutions conciliaires ou les définitions dogmatiques ex-cathedra.Quand le pape Jean-Paul II est parvenu sur le siège de Pierre, le 16 octobre 1978, les premières catéchèses qu’il a données le mercredi aux fidèles sur la place Saint-Pierre, ont été des catéchèses sur l’amour conjugal, le mariage et la famille, qui ont permis de développer ce que l’on appelle une théologie du corps, peut-être pour donner un peu de chair à la position doctrinale que le pape Paul VI avait prise dans son encyclique Humanae Vitae, pour éclairer les fidèles, pour éclairer les époux chrétiens et au-delà même de l’Église tous ceux qui s’engagent dans la voie du mariage. Le pape Jean-Paul II n’a pas voulu écrire une encyclique pour commencer et résoudre cette difficulté au sein de l’Église d’une manière autoritaire, mais par une catéchèse très pédagogique, très fouillée qui a duré pendant trois ans, adressée à tout le peuple des fidèles. Ces catéchèses ont fait l’objet de nombreuses études en particulier pour l’institut Jean-Paul II en particulier pour les sciences du mariage et de la famille que le pape Jean-Paul II a institué en même temps qu’il instituait un Conseil Pontifical pour la famille. Il est important d’ailleurs, de noter que le jour où il signa l’institution de ce Conseil Pontifical pour la famille, qui n’existait pas encore au sein du dicastère romain, et l’institut Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille, c’était le 13 mai 1981, le jour même de son attentat sur la place Saint-Pierre. En 1980, il avait convoqué son premier synode, précisément sur les tâches de la famille chrétienne dans l’Église et le monde d’aujourd’hui, dont il publia une exhortation apostolique postsynodale en 1981 consacrée donc à ce grand enseignement sur le mariage et la famille.

Voyez comment en effet ce pape a eu le souci de promouvoir l’enseignement de la révélation, l’enseignement que l’Église, fortifiée par toute l’expérience de l’Église, de tant d’époux et de familles chrétiennes tout au long des siècles hier comme aujourd’hui, a eu le souci de promouvoir. Cet enseignement de l’Église sur le mariage et la famille qui est au combien actuel aujourd’hui. Vous voyez que si l’enseignement d’Humanae Vitae peut être parfois une pierre d’achoppement, car il est assez succint, que les formules sont assez doctrinales et parfois difficiles à intégrer dans une vie qui n’est pas sans épreuves et sans souffrances. Le pape Paul VI l’avait bien à l’esprit : il y a d’ailleurs dans la deuxième partie de son encyclique des orientations pastorales où l’on voit son coeur de pasteur pour ceux qui souffrent de l’échec en matière de vie conjugale et de vie familiale. Mais disons toujours quel’enseignement de la vérité est une forme éminente de charité envers les âmes et que la première charité envers les âmes c’est toujours de donner la vérité, cette vérité qui a un nom et un visage : c’est Jésus Christ qui peut toujours s’incarner dans nos vies aussi fragiles et faibles soient-elles par la grâce que le Christ Jésus continue de nous donner par son Église à travers le don de son Esprit Saint. Nous ne pouvons jamais sous-estimer cette puissance de la grâce pour mettre en oeuvre dans des vies qui sont confrontées à de nouvelles menaces qui sont d’ordre sociales, d’ordre économiques, d’ordre psychologiques, qui sont des pressions faites aux couples et aux familles dominés dans le monde d’aujourd’hui par ce que saint Jean-Paul II appelait la culture de mort. Il ne faut pas sous-estimer la puissance de la grâce qui rend toujours possible contre toute espérance, la mise en oeuvre, même si c’est avec un grand chemin de croissance, de la vérité sur le mariage et la famille dans la vie de tout un chacun pour le bonheur de tous. Cette vérité ne nous est pas imposée par l’Église de l’extérieur, comme une espèce de chape de plomb qui s’abattrait sur nous et qui serait en effet beaucoup trop pesante, mais nous en avons l’intuition, nous en avons le désir, au plus intime de nous-mêmes quelles que soient nos blessures. L’Église, par son enseignement et par son accompagnement maternel, avec la grâce des sacrements, avec sa prédication, sa catéchèse patiente, rejoint ce désir qui est au plus intime de nousmêmes afin de le rendre possible.

Le désir possible, c’est l’espérance. On peut dire aussi que Jean-Paul II a été le pape de l’espérance. Si je vous dis tout ça, ce n’est pas pour vous faire un résumé, une synthèse de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille, mais pour vous renvoyer à cetenseignement. Je me rends compte, comme évêque, que bien des prêtres de mon diocèse, bien des fidèles qui sont engagés dans diverses responsabilités comme la pastorale, y compris dans le domaine de la pastorale familiale, sont très loin de connaître ce trésor de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille en particulier, qui nous a été prodigué par Jean-Paul II. Je vous renvoie à cette magnifique exhortation apostolique, les tâches de la famille chrétienne, Familiaris Consortio du pape Jean-Paul II en 1981. Je ne doute pas qu’après cette déclaration du pape François canonisant saint Jean-Paul II comme le pape de la famille, que les travaux du synode extraordinaire des évêques sur les défis pastoraux de la famille aujourd’hui, seront éclairés et dominés par ce puissant et riche enseignement.

On peut être certain que le pape Jean- Paul II nous a montré le juste chemin de la promotion du mariage et de la famille en ne se contentant pas d’enseigner, de déclarer des vérités, de dire des grands principes, mais en payant de sa personne. Il faut que nous soyons prêts en effet pour promouvoir le mariage et la famille aujourd’hui, à payer de notre personne.Ce qui me fait dire cela, c’est le texte d’un Regina Caeli du pape Jean-Paul II, en mai 1994. L’année 1994 était l’année internationale de la famille. Le pape Jean-Paul II avait à ce moment-là publié une charte des droits de la famille.

Déjà atteint de la maladie de Parkinson et hospitalisé un mois, après une chute, il déclare : « j’ai compris que je devais introduire l’Église du Christ dans le troisième millénaire avec la prière… Mais j’ai vu que cela ne suffisait pas. Il fallait l’introduire avec la souffrance, avec l’attentat d’il y a 13 ans et avec ce nouveau sacrifice. Pourquoi maintenant, pourquoi en cette année de la famille ? Précisément parce que la famille est menacée, la famille est agressée, donc le pape devait être agressé, le pape devait souffrir. Pourque toute famille et le monde voit ce que c’est un évangile, je dirais supérieur, l’évangile de la souffrance. »

C’est une expression que le pape Jean- Paul II a donnée et comme il a prêché l’exemple, cet évangile de la souffrance, à travers cette souffrance physique et morale pour laquelle il s’est peu à peu immergé jusqu’à la fin de son pontificat. L’évangile de la souffrance : il faut être un saint pour dire des choses comme celles-là, car l’évangile veut dire « bonne nouvelle » ! Je continue le texte : « L’évangile de la souffrance avec lequel on doit préparer le futur, le troisième millénaire des familles et de toutes les familles. Je voulais ajouter ces réflexions lors de ma première rencontre avec vous très chers romains et pèlerins à la fin de ce mois marial, parce que ce don de la souffrance je le dois et je rends grâce à la Vierge très sainte. Je comprends qu’il est important d’avoir cet argument devant les puissants du monde et je dois leur parler avec quels arguments ? Il me reste cet argument de la souffrance et je voudrais leur dire comprenez- le. Comprenez pourquoi le pape est allé de nouveau à l’hôpital, de nouveau dans la souffrance, comprenez- le et repensez-y ».

Notre combat aujourd’hui pour le mariage fondé sur l’union stable, d’un homme et d’une femme ouverts à la vie, cellule de base de toute société humaine qui se respecte, nous devons le mener par tous les moyens. C’est à vous en particulier, fidèles laïcs, de le mener avec les moyens qui sont les vôtres, parce que c’est à vous qu’a été confié la mission d’inscrire l’Évangile dans toutes les réalités temporelles sociales de notre temps et de notre société d’aujourd’hui, à la lumière de votre foi et de l’enseignement et de votre propre initiative. Nous les évêques, nous devons vous encourager dans ce grand combat.

L’an dernier en 2013, le 15 août, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, a fait prier de manière très simple dans toutes les paroisses de France pour le mariage et la famille qui ont été menacés et qui ont, de fait été agressés une fois de plus dans notre société d’aujourd’hui. À cause de cette prière, il y a des centaines de milliers de personnes, à commencer par des jeunes, des familles qui sont précisément de la génération Jean-Paul II et peut-être même aujourd’hui de la génération Benoit XVI, qui sont descendus dans la rue non pas pour exprimer une exaspération passionnelle ni pour des revendications de type catégoriel, mais pour défendre ce bien précieux qui est un bien commun, un bien que tous peuvent rechercher en commun, parce que seul il peut garantir la dignité de toute personne humaine sans exception à commencer par la plus faible et la plus fragile. Je vois dans ces sursauts des consciences, dans ce grand mouvement des familles qui sont sans doute descendues dans la rue de manière un peu tapageuse sans avoir été sans doute suffisamment entendues, un signe qui est un fruit de la fécondité du ministère de Jean-Paul II, pape des familles.

Mais vous comprenez bien qu’à la suite de saint Jean-Paul II, il nous faut nous situer au niveau d’un combat spirituel qui puise d’abord dans des armes spirituelles, la raison de sa fécondité et de sa victoire, et en particulier dans l’évangile de la souffrance, non pas seulement annoncé mais offert pour toutes les familles de notre temps.

 

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