1. Nous sommes rassemblés pour rendre grâces au Seigneur d’avoir donné St Joseph à l’Église. C’est lui qui a gardé en leur origine terrestre les mystères du salut, en la personne même de N.S. Jésus Christ. Et c’est lui que nous prions pour qu’il veille sur leur achèvement dans et par l’Église. A priori nous pourrions douter que St Joseph ait quelque chose à nous dire aujourd’hui, quelque chose qui intéresse notre culture contemporaine, notre vie quotidienne, nos engagements dans l’Église et dans la société. Nous le prions comme l’Époux de la Vierge
Marie, le père nourricier de Jésus et le modèle des travailleurs. En quoi, pourrions-nous le considérer comme un témoin de l’Evangile du Royaume pour les chrétiens de base que nous sommes ? S’il est vrai, comme l’écrivait déjà le Pape Léon XIII que la maison de la Ste Famille à Nazareth contenait d’une certaine manière les prémices de l’Église naissante, St Joseph doit avoir quelque chose à dire à l’Église d’aujourd’hui.
2 . Ce que St Joseph a à nous dire porte d’abord sur la foi. Il est en un certain sens notre père dans la foi au Christ, comme le fut Abraham pour tous les croyants au Dieu Unique. St Paul dit de ce dernier, qu’il reçut le monde en héritage par le moyen de la justice de la foi (cf. Rom. 4-17) ; qu’espérant contre toute espérance il crut, et devint ainsi père d’une multitude de peuples (cf. Rom. 14,18) ; et que le fait d’avoir cru en ce Dieu qui donne la vie aux morts et appelle le néant à l’existence lui fut compté comme justice (cf. Rom.4,22). Abraham quitta son pays sur l’appel de Dieu et partit sans avoir où il allait (cf. Héb. 11,8). II crut que Dieu pouvait lui donner une descendance malgré son grand âge et celui de Sara son épouse. II crut que Dieu pouvait tenir ses promesses de lui donner un fils, même s’il lui demandait en même temps de lui sacrifier ce fils, Isaac.
3. Joseph, à son tour, subit la grande épreuve de sa foi devant le mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu. II crut en Dieu qui appelle du néant à l’existence, qui, par la puissance de l’Esprit Saint, appelle à l’existence dans le sein de la Vierge Marie l’humanité du Fils unique de Dieu, Parole éternelle du Père. Il crut quand Dieu lui parla avec les paroles de l’ange : « ne crains point de prendre chez toi Marie ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » (Mt. 1,20-22). Et il prouva ainsi qu’il était un vrai descendant d’Abraham selon la foi. Plus encore, témoin oculaire privilégié de l’accomplissement de la promesse faite à Abraham et accueillie par la foi. Ce fut aussi une épreuve pour la foi de Joseph, que ce compagnonnage quotidien avec Jésus en famille et dans l’atelier de Nazareth Compagnonnage avec le mystère du Fils de Dieu fait homme, dont il observait les gestes humains et soupçonnait la source divine de ces gestes. Oui, pour Joseph d’abord, l’humanité de Dieu est apparue dans une sorte de transparence voilée qui interroge, qui attire, qui fait même souffrir car elle ne dit pas qui elle est. Après qu’ils l’eurent cherché pendant trois jours et lui eurent fait des reproches, Jésus répondit à ses parents : « Pourquoi donc me cherchiez-nous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père (ou bien, aux affaires de mon Père) ? (Luc 2,49). Essayons d’imaginer qu’elle dû être la réaction de Marie et de Joseph ! « Mais eux, dit l’Evangile, ne comprirent pas ce qu’il leur disait » (id.30). Notre foi aussi est mise à l’épreuve chaque fois que nous n’y noyons pas très clair dans les évènements qui surviennent en nos vies.
4. Et pourtant, ce qui fait de nous des justes, c’est la foi, comme pour Abraham, Marie et Joseph. La foi pour enraciner nos vies dans la mort et la résurrection du Christ. La foi pour accueillir une Bonne Nouvelle, l’Évangile, qui parfois nous dérange dans nos habitudes, nos paresses aussi, nos projets. La foi pour aimer et défendre la vie de l’homme depuis le premier instant de sa conception jusqu’à la mort naturelle. La foi des pères et mères de familles pour qu’ils ne se laissent pas décourager par les difficultés actuelles de l’éducation des enfants. La foi des époux, pour qu’ils demeurent fidèles l’un à l’autre, sachant se pardonner mutuellement et regarder ensemble dans une même direction à reconnaître chaque jour. La foi des jeunes adultes, célibataires, que Dieu appelle à tout quitter, même une profession brillante ou seulement la perspective d’un avenir prometteur, pour se mettre à suivre le Christ dans le ministère de prêtre ou dans la vie consacrée. La foi du laïc chrétien qui s’efforce de témoigner de l’Évangile des Béatitudes dans sa vie familiale, professionnelle, associative, dans ses engagements politiques ou syndicaux. La foi enfin de ceux qui j’appellerais les simples baptisés -mais quelle grandeur et quelle dignité dans cette simplicité – qui puisent dans les sacrements de Réconciliation et d’Eucharistie, spécialement dans l’Eucharistie de chaque dimanche, la lumière et la force pour marcher à la suite du Christ, quoi qu’il en soit de l’opinion publique, des modes, des idéologies dominantes, et du « socialement correct ». St Joseph, je le crois, est très présent au déroulement de nos vies pour qu’elles témoignent de l’amour de Dieu pour l’humanité et de l’efficacité d’une foi qui a vaincu le monde, c’est-à-dire, tout ce qu’il y a en nous et autour de nous de désirs désordonnés en matière d’affectivité, d’avoir, de pouvoir et de confortable sécurité.
5. Un autre aspect du témoignage de St Joseph peut être particulièrement précieux pour la bonne santé de notre culture contemporaine et, à la fois l’approfondissement de notre vie chrétienne. Il s’agit du silence. Celui à qui a été confiée la Parole, le Verbe de Dieu, se tait L’évangile ne rapporte aucune parole de St Joseph, c’est Marie seule qui parla à Jésus lorsque avec Joseph elle le retrouva au temple. C’est que le silence est riche de sens, non pas celui d’une salle d’hôpital ou d’une prison, mais celui d’un monastère chargé de la présence de Dieu et de la présence à Dieu des hommes et des femmes qui l’habitent.
Or, que se passe-il dans nos sociétés humaines ? L’une des choses qui me frappent le plus dans l’exercice de mon ministère est d’observer combien les gens éprouvent le besoin de parler. L’invasion des portables et leur usage incontrôlé permet évidemment d’alimenter cette démangeaison. II y a ceux qui sont souvent à court d’idées, mais jamais de mots. Il y a ceux qui se plaignent de ne jamais être écoutés alors qu’ils nous parlent sans arrêt depuis une heure. Exercice difficile, mais l’interlocuteur est quand même là présent, sinon écoutant, et ce n’est pas sans mérite. Il y a ceux qui mobilisent les lignes téléphoniques de façon permanente, au grand dam d’autres usagers qui auraient une communication brève et urgente à effectuer.
Il y a ceux qui au téléphone nous expliquent en un quart d’heure ce qu’ils pourraient résumer en cinq minutes, ou tout simplement nous écrire en quatre lignes.
II y a ceux – je parle pour les biblistes- qui pour vous expliquer le dernier verset du livre de l’Apocalypse commenceront par commenter le ler chapitre du livre de la Genèse.
Il y a ceux qui parlent tellement qu’ils contredisent le lendemain ce qu’ils ont dit la veille.
II y a ceux qui gardent un silence extérieur mais dont le cœur est rempli de soupçons, de haine ou de méfiance vis-à-vis de leur prochain. Enfin, « Il en est, disait un Père du désert, qui parlent du matin au soir et cependant ne violent pas la loi du silence ; c’est qu’ils ne prononcent pas une seule parole sans motif ».Un autre Père, Saint Pambo, qui ne savait pas lire demanda à quelqu’un de lui réciter un Psaume au hasard. On tomba sur le verset : « J’ai dit : je garderai ma route sans laisser ma langue s’égarer » (Ps. 39,1). Ce Père ne voulut pas en entendre davantage : « c’est assez dit-il, je reviendrai quand j’aurai pratiqué ce que dit le verset ». II y revint … dix-huit ans après, avouant que ce n’était pas tout à fait cela ». (Patrologie grecque 67/513).
6 St Joseph qui as su te taire, apprends-nous à faire de même si ce que nous aimerions dire n’apporterait rien de neuf à la conversation ou au débat et finirait par fatiguer les autres. Toi qui as porté dans tes bras la Parole qui par sa seule présence a tout dit, le Verbe de Dieu, aide-nous à donner d’autant plus de poids à nos paroles qu’elles seront riches de contenu et brèves dans leur énoncé.
St Joseph, que l’on nomme le Juste parce que ta foi t’a valu d’être ajusté à la volonté de Dieu et sanctifié dans ta vie, intercède pour nous auprès de ton Fils Jésus. Qu’Il nous permette de croire qu’il est le Maître de l’impossible pour tendre chaque jour à la perfection de l’espérance et de la charité qui, avec la foi, soutiennent et stimulent nos vies tout au long de leur pèlerinage sur la terre.
Amen
Monseigneur Bonfils, 1er mai 2010, Cathédrale du Puy En Velay